8 Octobre 2019
J'ai un peu envie de parler de mon père.
On a fêté l'autre jour, à la fin de l'autre mois, son 90ème anniversaire.
Y'avait pas de bougies, ça aurait plombé le Paris-Brest, son gâteau préféré.
Il nous a demandé pour la quarantième fois si on savait d'où venait l'appellation « Paris-Brest ».
On a fait semblant de ne pas s'en souvenir.
On a beaucoup mangé (merci le boucher de chez Carouf à Sarzeau et son épaule d'agneau farcie), merci le petit marché bio qui fait de bons produits, et puis on a beaucoup trop bu, Papa a une cave secrète d'où il sort des nectars secrets, on a été total franchouillards, pour tout dire.
Et puis on a ri, on a chanté, beaucoup. On a pleuré, un peu. Mais c'était bien, et je crois que Papa a bien aimé ses 90 ans.
Mon Papa est né en 1929.
En septembre.
Sa mère avait 40 ans déjà. Son père était marin et il est mort quand Papa avait 4 ans.
Entre temps était née Bernadette, la petite sœur, ma tante.
C'était les années 30, et en centre Bretagne, c'était le moyen âge.
Quand il eut 5 ans, Marie (ma grand-mère, qui ne parlait que le breton, pas un mot de français), loua son fils aîné comme journalier dans les fermes environnantes, pour garder les vaches.
J'ai du mal à imaginer un enfant de 5 ans garder des vaches.
J'ai des enfants. Je ne peux m'imaginer les voir garder des vaches à 5 ans.
Mon père me dit qu'il était heureux quand il péchait des truites dans l'Ellé (le ruisseau du coin), parce qu'alors ils avaient autre chose que des légumes et des crêpes à manger.
Il m'a aussi raconté avec des larmes dans les yeux qu'il avait reproché à sa mère de n'avoir pas de viande à manger, alors que le voisin, plus riche, en avait.
Il s'en veut encore.
Il m'a raconté que l'instituteur de l'école publique lui a sauvé la vie.
Il est venu un jour dans le champ où il gardait les vaches et lui a dit : « Toi, tu viens avec moi, toi, tu vas apprendre à lire, à écrire et à parler français ! ». Mon père, comme ma grand-mère, ne parlait que le breton.
Le curé de Plouray était venu voir Marie (ma grand-mère) et lui avait dit : « C'est pas la peine que tes enfants aillent à l'école. Ils vont être paysans, ils n'ont pas besoin d'éducation ».
Du coup, mon père a développé une dévotion absolue pour « les hussards noirs de la république », et il a aussi développé un anticléricalisme primaire, mâtiné d'un communisme féroce.
Duquel j'ai vaguement hérité, je dois l'avouer.